Pudeurs comparées

" Quand je suis ému, je veux toujours être seul. Nous autres Japonais, nous ne sommes pas semblables aux Occidentaux , ces gens impudiques et qui me choquent. Ils répugnent a montrer leur corps sans vêtement. Pourquoi ? Par pudeur disent-ils. C'est de l'enfantillage. Tous les corps se ressemblent et les autres savent bien d'avance comment le vôtre est fait. Par contre, ils laissent voir au premier venu leurs affections de famille, leurs émotions, leur vie sentimentale, tout ce qui plus que le corps constitue leur personnalité. Pourquoi n'ont-ils pas la pudeur de tenir tout cela au secret ? Ils s'agitent pour la joie ou pour la douleur. Ils se grisent de leurs émotions et celles-ci disparaissent quand s'évanouit l'orage de gestes qui les a accompagné. Nous autres sommes plus sentimentaux. Nos sourires et nos gestes sont seulement un langage de politesse convenue, ils ne doivent pas laisser voir notre coeur. Nos émotions demeurent en nous-mêmes. Contenus et mûris par la volonté, les mouvements de l'âme s'affinent et s'exaspèrent. Ils durent le temps d'engendrer de hautes actions." Extrait de "L'honorable partie de campagne", de Thomas Raucat. Coll. L'Imaginaire, Gallimard.