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10 000 km plus a l'Est
25 mars 2010

Verveine Madeleine

tisaneverveine

D'autres fois, je choisis une Saveur du soir. Quasi mythique chez nous, autant pour son goût de réglisse très prononcé que pour son transport en contrebande. Ou encore une infusion de gingembre. Souveraine contre les rhumes, selon Lilia.  Mais ce soir là, c'est une verveine qui infusait doucement dans ma tasse fumante. Pourquoi ce soir là plutôt qu'un autre, cet insignifiant trempage de quelques brins d'herbes dans de l'eau bouillante s'est-il transformé en machine à remonter le temps ? Je suis dans la cuisine de ma grand-mère. C'est dimanche. Les hommes ont aidé à servir au café tout le matin, et à la sortie de la messe, il ne fallait pas avoir les deux pieds dans le même sabot pour servir les blancs limés et les perroquets à tout ce beau monde. Après le repas, ils sont partis faire un tour dehors, malgré la pluie. Une fois la vaisselle terminée, ma grand-mère, mes tantes et ma mère se retrouvent autour du poste de télé. Michel Drucker, déjà. Il pleut. Il a plu toute la journée. Les fenêtres hautes et étroites sont toutes embuées, derrière le brise bise en dentelle. Sur le rebord en pierre froide s'empilent les vieux exemplaires de Femme Actuelle. Enfant, je ne sais même pas à quoi l'on jouait le long de ces interminables dimanches. Il n'y avait pas de jouets dans la maison de ma grand-mère. On allait faire de temps en temps un tour au café, derrière le comptoir, pour chiper un bonbon en cachette. Avant de revenir à la cuisine, devant le poste de télé, ou de se mettre à feuilleter interminablement les Femme Actuelle, et d'en découper les recettes de cuisine les plus alléchantes. Vers 4 heures, la lumière du dehors commençait à baisser. On sortait les tasses et on mettait à infuser quelques brins de verveine. Le néon clignotait plusieurs fois, hésitant, indécis, puis s'allumait tout à fait. Tout enroulé sur lui-même en spirale, il projetait sa lumière un peu froide dans la pièce déjà pas très chaleureuse. Fonctionnelle, comme toutes les cuisines rurales d'autrefois, mais qui avaient vu passer le vent formidable de la nouveauté et du formica des années 50. Exit les poêles à bois, les belles tables en bois massifs, les carreaux de faïences, toutes ces vieilleries. Place au plastique, aux nappes en vinyle, aux surfaces froides et lisses, facile à nettoyer, sans plus rien à quoi s'accrocher. Dans ce décor, on sirotait notre verveine. Sans vraiment y prendre garde. Et voilà que 30 ans après, je suis happée. Par ce goût presque insipide si l'on n'y fait pas attention, mais qui est tout à la fois suave et acidulé. Frais et léger comme un linge d'été séché au soleil. Fleurant bon la cour ou l'on prend le frais sous les platanes, un jour de grande chaleur. Une petite brise passe, nous rafraichit. A 10 000 km de là et 30 ans plus tard, voilà ce que délivre une anodine tasse de verveine, le tout encapsulé dans le souvenir d'un dimanche pluvieux à Desingy. 

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