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10 000 km plus a l'Est
30 mai 2009

Celle de l'autre rive

Un roman magnifique et sensible sur ce que signifie être une jeune femme au Japon. Les choix auquel elles sont confrontées, qui se résument souvent de façon binaire et brutale à : avoir une famille et pas de carrrière, ou avoir une carrière et se résoudre à ne pas avoir d'enfants. La difficulté de vivre la situation de mère au foyer. La mélancolie vite atttrapée à trainer dans les parcs, en étant plus ou moins rejetée par les autres mères quand on ne veut pas rentrer dans le jeu des "clans". La question du groupe, et du bouc émissaire. Et finalement la question de la liberté, de la dignité que redonne le travail. A quoi cela sert-il de grandir, se demande le personnage principal.

"Sayoko, malgré son peu d'enthousiasme, se rendit au restaurant puisque les femmes l'avaient invitée à les suivre. [...]

A peine assises, elles évoquèrent aussitôt et sans discontinuer des histoires de maternelle et d'institutrices. Sayoko ne pouvait participer à la conversation mais elle n'en était pas gênée. Il était facile, sans intervenir, d'acquiscer en souriant. Le serveur apporta les boissons. Les femmes gardèrent le silence jusqu'à ce que toutes soient servies.

Le serveur reparti, elles reprirent la conversation.

- Il faut penser au concours d'entrée !

- Comment ? Vous lui faîtes passer le concours ? Ah c'est vrai , madame Hayada, vous nous aviez dit qu'à partir d'avril vous mettiez votre enfant au cours de soutien scolaire.

- Chez nous, on le mettra à l'école municipale numéro 3.

- Oui, mais il y a beaucoup d'enfants bruteaux. Il y en a dans notre immeuble, ils vous lancent des regards méchants en disant "Tais-toi !" Ils crient même "Idiot" ou "Crève".

- N'est-ce pas, Madame Tamura, à la crèche, il n'y a pas plus d'enfants mal élevés ?

Prise soudaint à partie, Sayoko sourit avec gêne .

- Il vaudrait mieux que vous arrêtiez la crèche le plus tôt possible. Aa-chan est une gentille petite fille mais les enfants sont si influençables.

- Oui oui, ces enfants qui disent "Idiots" ou "Crève", etc, sont tous les deux dans la même crèche que votre fille [...]

-Vous, vous avez arrêté de travailler alors ça va, mais les enfants de la crèche, finalement, leurs mères travaillent toutes, non ? Elles n'ont pratiquement pas le temps de s'occuper d'eux, ils sont, comment dire, grossiers, brutaux. On les reconnaît tout de suite les enfants élevés en crèche. Et quand on fait une remarque à la mère, elle réplique avec un drôle d'aplomb qu'elle  a une vie sociale.

- Oui, oui, c'est vrai, l'autre jour ..

- Ah bon, ah bon ? Tout en feignant de s'étonner, Sayoko regardait par la fenêtre . A commencer par Mme Motoyama, toutes ces mères étaient femme au foyer et ne pensaient guère du bien des femmes qui travaillaient.  [...] Devant ce déferlement soudain d'attaques contre les mères qui travaillent, tout en acquièscant vaguement, Sayoko eu soudain un sentiment de déjà vu. Mais elle réalisa aussitôt qu'il s'agissait bien de souvenirs. Malgré les années accumulées, il n'y avait rien de changé depuis le temps du lycée où elles se rapprochaient de leurs tables pour manger leur bento. On s'inventait une ennemie fictive contre laquelle on se liguait pendant un certain temps. MAis Sayoko savait que cette union  était étonnament fragile. Dans quelques mois, probablement que Mme Hayada qui envoie son enfant au cours de soutien serait la cible de leurs attaques. A quoi cela servait-il d'avoir pris de l'âge ?

"Celle de l'autre rive", de Mitsuyo KAKUTA, Editions Actes Sud.

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