Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
10 000 km plus a l'Est
13 mai 2008

Hillary et la Guerre des Sexes

Cet article, qui revient sur la perception de la candidature d'Hillary Clinton, a été publié le 12 mai dans l'hebdomadaire Newsweek sous le titre Hillary and the Gender Wars

      

Les Américains jugent encore leurs dirigeants en termes masculins, mais des études montrent qu’un style plus féminin est souhaitable.

En dépit des pontifes qui la déclaraient finie depuis longtemps, Hillary Clinton a tenu bon tout au long de sa campagne. Et sa ténacité a soulevé une thématique importante : celle des femmes et du pouvoir. De ses larmes inattendues en février, dans le New Hampshire, à ses compétences hors du commun dans le domaine de la défense, en passant par son refus obstiné de céder à la pression, Clinton bouscule les clichés et ouvre un débat national sur une question phare : lorsqu’il s’agit d’élire un candidat à la présidentielle, son sexe est-il d’une quelconque importance ? Selon de vieux poncifs, les hommes seraient davantage dans le contrôle et l’expression d’un pouvoir sans compromis, tandis que les femmes se montreraient plus intuitives, privilégiant le travail en commun et la douceur. Pourtant, lorsqu’il s’agit de décrire leurs dirigeants, la plupart des Américains continuent d’employer des termes masculins. Mais des études montrent qu’il serait aujourd’hui nécessaire, pour gouverner avec succès, d’employer un style autrefois considéré comme féminin.

Il y a plusieurs explications à cette nouvelle donne. Dans nos sociétés basées sur l’information, les réseaux ont remplacé la hiérarchie. Aujourd’hui, les employés n’acceptent plus comme pain béni tout ce qui vient de leurs supérieurs. Des modèles d’entreprises à responsabilité "partagée" ou "répartie", qui placent le directeur au centre du cercle et non au sommet de la pyramide, sont de plus en plus répandus. Eric Schmidt, le P.D.G. de Google, avoue devoir "dorloter" ses employés. Et même l’armée américaine a demandé à ses sergents instructeurs de baisser le ton, car d’après David Chu, sous-secrétaire à la Défense, les jeunes recrues d’aujourd’hui réagissent mieux à des instructeurs qui jouent davantage "un rôle de conseiller". Sur le champ de bataille cependant, pour gagner une contre-insurrection - le type de guerre le plus répandu - il faut des soldats capables de conquérir les cœurs et les esprits, et pas seulement de tuer.

George W. Bush se décrit comme "le décideur", mais il faut bien d’autres qualités aujourd’hui pour diriger. Aujourd’hui, les maîtres mots sont : réseau, collaboration et participation. Selon le directeur général d’IBM, Samuel Palmisano, le style autoritaire et directif constitue un obstacle à la circulation des informations, nécessaire à la collaboration entre les multinationales d’aujourd’hui.

Autrefois, pour être de bons leaders, les femmes devaient adopter un style soi-disant typiquement "masculin" et surtout ne pas être "gentilles" - pensez à Margaret Thatcher, la Dame de Fer. Mais aujourd’hui, avec la révolution et la démocratisation du monde de l’information qui exige des techniques de leadership plus participatives, de tels sacrifices ne sont plus nécessaires. Cependant, comme le souligne Ellen Goodman du Boston Globe, "tandis qu’Hillary a intégré la liste des tough guys (les hommes les plus forts des Etats-Unis), Obama, lui, est devenu le candidat Oprah (du nom d’Oprah Winfrey, l’animatrice la plus populaire des Etats-Unis). Facile de prendre la voix d’une femme quand on est un homme".

D’après le psychiatre Arnold Ludwig, les femmes sont encore sous-représentées parmi les grands de ce monde. Seulement 5% d’entre elles dirigent des grandes entreprises à travers le monde, et on en trouve une minorité parmi les élus politiques, allant de 45% en Suède à 16% aux Etats-Unis. Sur 1941 chefs d’Etat au vingtième siècle, seules 27 étaient des femmes, dont la moitié ont accédé au pouvoir comme veuves ou filles de dirigeants. Les femmes arrivées au pouvoir par leurs propres moyens représentent au vingtième siècle moins de 1% des chefs d’Etat. Alors, si notre époque est celle des femmes, pourquoi ne sont-elles pas plus visibles ?

Ce fossé persistant entre les sexes peut s’expliquer par le relatif manque d’expérience des femmes, leur rôle de mères, leur style tout en négociation et, bien sûr, la discrimination. Les schémas de carrière traditionnels des femmes ne leur ont pas permis d’acquérir l’expérience nécessaire pour occuper des postes à responsabilité dans des domaines variés. Des recherches menées par Hannah Riley Bowles et Kathleen McGinn de l’université de Harvard montrent que même dans les démocraties, les femmes sont davantage exposées à la critique que les hommes lorsqu’elles tentent, par exemple, de négocier des données telles que le salaire qui représentent des tremplins dans une carrière. Dans les entreprises, les réseaux majoritairement composés d’hommes acceptent difficilement l’intrusion de femmes, et les stéréotypes sur l’expression des émotions représentent encore aujourd’hui un frein pour celles qui essaient de surmonter ce type de barrières. Même s’il semblerait que les larmes d’Hillary Clinton au New Hampshire aient joué en sa faveur, elles restent une arme dangereuse, que ce soit lors d’un conseil d’administration ou pendant une campagne électorale.

Comme le montre le nombre croissant de femmes occupant des postes à haute responsabilité, le fossé entre les sexes tend à se combler, même s’il est trop tôt pour affirmer que nous vivons dans "un monde de femmes". Cependant, les clichés positifs desservent aussi bien les femmes que les hommes et les bons dirigeants. Commençons par regarder nos dirigeants, non à travers le prisme de termes héroïques comme le contrôle, mais davantage à travers leur capacité à travailler en commun avec des organismes, des groupes, des nations et des réseaux. Ainsi, la question du style – savoir utiliser à bon escient la fermeté ou la douceur – est aussi pertinente pour les hommes que pour les femmes, et le carcan des rôles traditionnels ne devrait plus peser dans la recherche de cet équilibre. Dans certains cas, les hommes doivent agir davantage comme des "femmes" et inversement. Ainsi, la clé ne dépend pas du sexe de l’individu, mais de la manière dont il allie pertinemment fermeté et douceur pour atteindre le meilleur résultat.

par Joseph S. Nye Jr


Traduction de l'américain par Nadia Bensmail

Publicité
Publicité
Commentaires
10 000 km plus a l'Est
Publicité
Archives
Publicité